Vision francaise de l'euthanasie

Depuis 1981, le ministère de la Santé a vu se succéder une dizaine de personnalités différentes. Les positions et l’action des deux locataires de l’avenue de Ségur ayant précédé Philippe Douste-Blazy sont révélatrices du traitement de la question de l’euthanasie au cours des vingt dernières années. Quand Bernard Kouchner s’est toujours déclaré favorable à une législation sur ce thème, Jean-François Mattei, son successeur, s’y est plus souvent montré opposé. En fonction alors que les PaysBas devenaient le premier pays à dépénaliser l’euthanasie, Bernard Kouchner ne se risqua pas cependant à imiter nos voisins européens, et ce n’est qu’aux derniers jours du gouvernement Jospin qu’il évoqua la possible rédaction d’une charte de l’euthanasie. JeanFrançois Mattei, eut, pour sa part, à gérer l’émotion suscitée par la disparition du jeune Vincent Humbert, qui réclamait depuis plusieurs mois le droit de mourir, et qui fut finalement délivré d’une vie sans espoir et sans lumière par sa mère et son médecin, le docteur Frédéric Chaussoy. L’affaire n’ébranla pas pour autant ses convictions et il n’hésita pas à déclarer à plusieurs reprises son opposition à toute nouvelle législation, assurant que l’urgence était d’améliorer l’accueil en soins palliatifs.

Les soins palliatifs ne sont pas tout

L’un n’exclut pas l’autre répond en substance l’actuel ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy. Ce dernier s’est en effet longuement attardé sur la question de la réorganisation des soins palliatifs lors d’une interview publiée par le quotidien Le Figaro.(27 août 2004) « La loi inscrira l’obligation de créer des lits identifiés de soins palliatifs. Obligation qui sera portée dans les contrats pluriannuels conclus par les agences régionales d’hospitalisation. Aujourd’hui, il y a trop peu de lits de soins palliatifs. Il y avait au total en France, fin 2003, 1 615 lits dédiés aux soins palliatifs. C’est trop peu. » Mais cette même loi modifiera également les articles 37 et 38 du code de déontologie médicale ainsi que le code de santé publique, pour mettre fin à une « inacceptable hypocrisie » selon les mots du ministre, mais également à une cacophonie législative.

Une clarification s’impose

En effet, quand la loi sur le droit des malades a instauré la possibilité pour ces derniers de demander l’arrêt des soins et quand l’article 37 du code de déontologie médicale précise : « qu’en toute circonstance, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade, l’assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique », les médecins qui débranchent un respirateur artificiel ou qui injectent une dose potentiellement mortelle de morphine risquent d’être accusés d’euthanasie et encourent, à ce titre, une peine de prison pouvant aller jusqu’à la perpétuité.

Aussi, la modification du code de déontologie médicale et du code de santé publique doitelle permettre de « clarifier la loi » selon le mot du ministre.

Concrètement, le texte devrait « systématiser la consultation des proches, sans faire reposer pour autant la décision sur leurs épaules. C’est le corps médical qui décide (...). En cas de désaccord entre le malade et le médecin, la loi prévoit que le malade fasse appel à un collège d’autres médecins pour décider. Pour les malades inconscients, la loi prévoit d’anticiper leur choix par la rédaction de directives anticipées, une sorte de testament médical que devrait consulter l’équipe médicale. Si aucune directive n’a été donnée, aucune décision d’arrêt de traitement ne pourra être prise sans décision collégiale ». Des dispositions spéciales devront également concerner les personnes isolées.

Une matière législative - Une loi nécessaire

Le texte devrait être présenté avant la fin de l’année sous la forme d’une proposition parlementaire, sur l’initiative des membres de la commission présidée par Jean Léonetti. Le travail du gouvernement sera cependant important, concernant notamment la forme que devra prendre le texte, qui sera l’objet de discussions entre le ministère de la Santé et le ministre de la Justice. Ce dernier s’était déjà prononcé en avril dernier en faveur d’une réforme du code de déontologie médicale et notamment pour la précision de l’expression « obstination déraisonnable ». Aujourd’hui, Philippe DousteBlazy assure que Dominique Perben « pense (...) que la définition des obligations des médecins quant à la limitation ou l’arrêt de traitement n’est pas sans incidence sur le droit des malades. Le code de la santé publique ne pouvait pas ne pas être affecté par ces modifications. Il faut donc une loi, et pas seulement des règlements. »

Selon Philippe Douste-Blazy, à l’heure actuelle, « 150 000 machines par an sont débranchées par décision du corps médical sans cadre formel. »

Le cas des enfants prématurés

La proposition de loi sur l’accompagnement de la fin de vie a été présentée de telle façon qu’il est aujourd’hui très difficile de savoir dans quelle mesure elle pourra concerner les enfants prématurés, qui audelà des fabuleux progrès de la médecine, ne sont pas toujours en mesure d’être sauvés, si ce n’est dans des conditions où la qualité de vie est pratiquement niée.

À défaut de légalisation sur l’euthanasie (pourtant souhaitée par 80 % de nos voisins médecins d’Outre-Manche), les Britanniques choisissent dans quelques rares et extrêmes cas de se retourner vers la justice. Dans certaines affaires anglaises les plus illustres, c’était des patients qui appelaient les juges à leur secours. Comme Diane Pretty qui aurait souhaité que son mari ne soit pas poursuivi s’il l’aidait à mourir ou Mlle B., paralysée, qui obtint la reconnaissance par les magistrats de son « droit à mourir ».

Aujourd’hui, ce sont des médecins qui demandent aux juges de les autoriser à ne pas réanimer une petite fille de 11 mois, en cas de nouvel accident respiratoire, alors que ses parents sont totalement opposés à cette idée. Charlotte Wyatt est née le 21 octobre 2003 à 26 semaines de grossesse. Elle pesait 450 grammes et mesurait moins de 15 centimètres. Un an plus tard, Charlotte n’a toujours pas quitté l’hôpital. Sourde et aveugle, incapable de contrôler ses mouvements et souffrant d’une déficience mentale grave, elle n’a jamais été nourrie que par une sonde, tandis que chaque accident respiratoire l’affaiblit un peu plus.

Après l’avoir réanimée pour la cinquième fois en août, les médecins de l’hôpital de Portsmouth ont demandé à ses parents l’autorisation de ne pas la réanimer une nouvelle fois, si un autre épisode de détresse respiratoire aiguë survenait. Mais, catholiques très pratiquants, Monsieur et Madame Wyatt s’accrochent aujourd’ hui à quelques maigres espoirs, et affirment que leur enfant est chaque jour plus forte et qu’elle serait même capable de les reconnaître...

L’émotion suscitée par cette affaire en Grande-Bretagne est aussi vive que celle qui avait agité le pays lorsque les juges avaient ordonné que l’opération de séparation de sœurs siamoises ait bien lieu, malgré l’opposition des parents qui refusait que l’une de leurs deux fillettes meure pour sauver l’ autre. La tension est telle aujourd’hui que tous les médecins amenés à témoigner ont préféré conserver l’anonymat, de peur d’être la cible des associations « pro-life ». Nommés par une simple initiale, les praticiens du Portsmouth Hospital qui soignent Charlotte au St Mary’s Hospital ont chacun à leur tour fait le portrait d’une fillette dont la vie n’a été jusqu’à aujourd’hui que souffrance et qui ne peut guère espérer vivre plus d’un an. « N’importe quelle mesure destinée à prolonger un peu plus cette vie serait cruelle et futile » a estimé l’un d’eux, tandis que le procès s’ouvrait.

Une spécialistye (Mary Riddell) soulignait par ailleurs que sur les 1 200 enfants nés après seulement 26 semaines de grossesse entre mars et décembre 1995 en Grande-Bretagne et en Irlande, seuls 314 ont survécu et 40 % d’entre eux souffraient à l’âge de six ans de difficultés cognitives importantes.

Verdict : Les juges de la cour 47 rendent leur décision. Londres, le vendredi 8 octobre 2004 – Bien que déroutantes, les déclarations du père de Charlotte Wyatt, n’en ont pas été moins émouvantes. Après avoir affirmé que si « Dieu dit qu’une personne doit vivre, c’est qu’elle doit vivre », il avait proposé un compromis aux médecins de sa fille. En cas de nouvel accident respiratoire, ces derniers souhaitent être autorisés par ses parents – et à défaut par la justice – à ne pas la réanimer. Au cours de l’audience, qui s’est déroulée à Londres toute la semaine dernière et qui opposait les praticiens de l’hôpital de Portsmouth et les parents de Charlotte, le père de Charlotte a proposé qu’en cas de nouvel arrêt, une trachéotomie soit réalisée et que si au bout de cinq jours aucune amélioration n’était constatée, il laisserait sa fille « s’en aller ».

La pose d’une trachéotomie n’ aurait probablement fait qu’augmenter les douleurs d’une enfant, qui n’a jamais souri et qui n’a jamais éprouvé aucun moment de soulagement au cours de sa brève existence. Aussi, les juges de la Haute cour de Londres ont décidé hier après-midi d’autoriser les médecins de Charlotte à ne pas la réanimer lorsqu’elle sera de nouveau victime d’un accident respiratoire, afin de la laisser partir en paix. Bien que profondément peinés par cette décision, les parents de Charlotte ne devraient pas faire appel...

Nouvelles dispositions législatives mais..

Mais ces nouvelles dispositions législatives ne concerneront que les personnes en fin de vie et ne pourraient donc s’appliquer à un cas comme celui de Vincent Humbert, dont la douloureuse histoire avait ému la France entière à l’automne dernier. Frédéric Chaussoy, son médecin, aujourd’hui mis en examen pour « empoisonnement avec préméditation » en est parfaitement conscient, aussi considère-t-il qu’il s’agit d’une certaine mais « petite avancée ». U

ne majorité de professionnels de santé semble aujourd’hui partager son point de vue.

Un récent sondage effectué par Le Journal International de Médecine, sur son site Internet, révélait que 49 % des médecins considèrent que le projet de loi « ne va pas assez loin vers la libéralisation de l’euthanasie ». Ces derniers auraient peut-être préféré que la France s’engage plus franchement vers une voix ouverte ces dernières années par les Pays-Bas et la Belgique. Dans ce pays, un bilan de la pratique de l’euthanasie, depuis sa légalisation en septembre 2002, vient d’ être rendu public. Deux cent cinquante-neuf euthanasies y ont été réalisées entre le 22 septembre 2002 et le 31 décembre 2003, ce qui représente 0,25 % du nombre total de décès. Parmi les patients concernés, 82,5 % souffraient d’un cancer. Aujourd’hui, les pouvoirs publics s’interrogent quant à l’opportunité d’élargir le champ de la loi, afin qu’elle puisse également concerner les enfants et les adolescents atteints d’une maladie incurable.

Pour l’heure, les professionnels de santé français devront se satisfaire des avancées proposées par le ministre, à l’instar de 23 % d’entre eux, qui estiment qu’elles répondent « bien aux problèmes posés ». Soulignons enfin que 20 % des professionnels de santé ayant répondu au sondage jugent que la future proposition de loi « constitue une dérive dangereuse vers l’euthanasie active », tandis que 8 % ne se sont pas prononcés, souhaitant probablement connaître plus en détail les dispositions du texte.

Déontologie médicale