La surveillance des virus est une affaire complexe et onéreuse Elle suppose d’effectuer des prélèvements sanguins sur les hôtes infectés, hommes ou animaux, ce qui nécessite l’accord préalable de comités d’éthiques, d’autorités sanitaires ou vétérinaires, et pour les animaux d’élevages, l’autorisation d’éleveurs souvent réticents. De même, la capture d’animaux sauvages est très réglementée, compliquée, voire dangereuse.
Une autre difficulté est de prélever les hôtes lorsqu’ils sont effectivement porteurs du virus. Car sa présence effective est relativement fugace dans le sang, et correspond à la phase de mise en place des mécanismes immunitaires. Au-delà, l’agent pathogène sera éliminé et seules subsisteront des séquelles de l’infection.
Ainsi, dans le cadre d’une enquête de surveillance, c’està-dire en dehors des périodes épidémiques, peu d’hôtes prélevés pourront effectivement fournir du virus.
Pour s’affranchir de ces difficultés, les chercheurs ont eu l’ idée d’effectuer les analyses classiques de la surveillance, non pas sur du sang prélevé directement sur les hôtes potentiels du virus - humains ou animaux -, mais sur le sang ingéré par des moustiques ou d’autres arthropodes hématophages. Cette approche diffère de l’entomologie médicale centrée sur le vecteur, dont elle s’inspire pourtant, en ce sens que tous les moustiques, vecteurs ou non du pathogène surveillé, sont pris en considération pour le sang qu’ils transportent. Un moustique peut en effet parfaitement avoir piqué un hôte infecté par le virus surveillé, sans pour autant contribuer à la transmission de ce virus.
Les scientifiques de l’IRD sont parvenus, en appliquant cette technique à l’étude de la grippe aviaire, à isoler le virus dans des moustiques gorgés de sang, capturés dans un élevage frappé par la maladie. Ce virus n’est pourtant pas transmis par les moustiques. De même, cette technique a permis d’isoler le virus de la dengue, à partir de moustiques du genre Culex, alors que son vecteur est un moustique du genre Aedes, difficile à capturer et rarement porteur du virus. Cette approche originale limite les difficultés pratiques et les coûts élevés qu’engendre la surveillance durable d’une vaste population d’hôtes potentiels. Si elle se banalisait, elle permettrait de généraliser le suivi au-delà des seuls épisodes épidémiques. Enfin cette « seringue » naturelle peut être aussi utilisée pour rechercher dans le sang des insectes hématophages les traces du passage de parasites sanguins chez l’hôte qui à fourni le repas sanguin, c’est-à-dire les anticorps spécifiques d’une infection plus ou moins ancienne.